Alors que l’image de l’industrie pharmaceutique est particulièrement négative et que les débats incessants sur le prix des médicaments alimentent la défiance, comment changer la donne ? L’industrie pharma est-elle condamnée à l’opprobre ? Comment poser le débat et reprendre la parole ? Comment préserver un modèle économique qui produit de l’innovation et revendiquer le concours de l’industrie à l’intérêt général ? Enfin, comment concrètement parler du prix du médicament ?
I. Les raisons de la colère
III. La santé peut-elle être marchandisée ?
IV. L’industrie pharma doit-elle se donner pour objectif
d’être aimée ?
V. Assumer et revendiquer le modèle économique de l’industrie
pharma !
VI. Et la morale dans tout ça ?
VII. Alors concrètement, comment parler du prix des
médicaments ?
I. Les raisons de la colère
L’image de
l’industrie pharmaceutique, particulièrement en France, s’est dramatiquement dégradée
ces dernières années. Inutile de rappeler ici les multiples sondages et
études qui attestent de la perte de confiance, voire de la défiance, que ressent
le grand public à l’égard de l’industrie.
Les raisons de ce désamour sont multiples. Mais, sans nul
doute, le prix des médicaments, bien
évidemment jugé excessif, est l’une des explications à la fois les plus
évidentes, les plus opérantes et les plus structurantes.
Pourtant, l’industrie se démène et tente, inlassablement, de
justifier et d’expliquer le prix des médicaments. Les arguments invoqués sont
d’ailleurs pertinents, fondés, pédagogiques, convaincants etc. Mais rien n‘y
fait. Cela ne fonctionne pas. Cela n’imprime pas…
Pourquoi ? 3 raisons
principales peuvent à mon sens être mises en avant.
1.
L’industrie
pharma est une cible facile, de celles que l’on adore détester : de
grandes multinationales désincarnées, des considérations boursières et
financières qui semblent l’emporter sur la santé des patients, quelques
scandales, peu d’alliés, des collaborateurs qui ont vraiment de grosses
voitures…
2.
L’industrie
a longtemps refusé le débat et a préféré vivre selon l’adage « vivons heureux vivons cachés ».
Elle le paie aujourd’hui. En refusant le débat, l’industrie a laissé
s’imprimer dans l’inconscient collectif l’idée selon laquelle les labos
n’étaient mus que par la recherche du profit maximum. Et cette idée est devenue
la « pensée dominante ». A tel point qu’il est devenu difficile,
voire impossible, de remonter la pente. Il est en effet extrêmement difficile
de déconstruire des représentations à ce point sédimentées dans l’opinion. Quelque
part, l’industrie a perdu la guerre
faute d’avoir livré la bataille…
3.
Parce
que cette question du prix des médicaments est tout sauf rationnelle. C’est une
question de valeurs. On aura beau expliquer qu’il faut cribler 10 000
molécules, 12 ans de développement et plus de 1 milliard de dollars pour mettre
sur le marché un nouveau médicament, le
simple fait de gagner de l’argent sur la santé des gens est considéré comme
malsain, choquant, voire inacceptable, en tout cas dans les sociétés de
culture et de tradition judéo-chrétiennes comme les nôtres.
Dans cette perspective, la
campagne « La maladie ne dort
jamais. Nous non plus. #sansrépit » menée par le LEEM (Les Entreprises du
Médicament) est particulièrement intéressante et révélatrice de malentendus ou
d’erreurs d’analyses. Lancée en octobre/novembre 2017, elle avait pour ambition d’améliorer l’image de
notre secteur.
L’angle adopté était de dire que la maladie ne dort jamais
mais que l’industrie pharma non plus et que cette dernière se mobilise en
permanence pour innover et faire reculer la maladie. Pourquoi pas…
Cette campagne, bien
réalisée, était pourtant hors sujet. En effet, on ne reproche pas à l’industrie d’être inefficace et peu innovante
ou de rester passive face aux maladies. On
lui reproche de gagner de l’argent de façon excessive et de considérer la maladie comme un
business. C’est comme si on vous accusait d’être un salaud et que vous répondiez
« oui mais je travaille dur ».
Hors sujet…
Les résultats de la
campagne, récemment dévoilés, semblent attester de son manque d’efficacité
pour améliorer l’image du secteur. Certes les investissements media étaient
très limités mais cette faiblesse ne suffit pas à tout expliquer. C’est aussi
sur le contenu, les angles et le positionnement de la campagne qu’il faut
s’interroger. Une campagne, si elle est pertinente et qu’elle stimule la
réflexion, même avec des investissements limités, peut avoir de l’impact.
III. La santé peut-elle être marchandisée ?
A mon sens, la vraie
question, le nœud gordien qu’il faut « cracker », le sujet qui
fâche et qu’il convient d’aborder de front, c’est celui de la « marchandisation » de la santé.
La « marchandisation »,
c’est un gros mot. C’est le mal absolu. C’est le triomphe de l’économie de
marché qui corrompt et s’immisce dans des univers, celui de la santé en
l’occurrence, qui devraient être affranchis et préservés de toute considération
financière ou mercantile et uniquement régis par des principes relevant de
l’intérêt général et du bien commun. Et personne n’ose aborder cette question…
Et pourtant… La donne
est en réalité beaucoup plus complexe, voire paradoxale. Il est en effet
possible de revendiquer, preuves à l’appui, que l’on peut faire coïncider
marchandisation et intérêt général. On peut même aller plus loin et affirmer
que, dans certains cas, et pour peu
qu’il y ait un minimum de transparence et de régulation, la marchandisation
produit de l’intérêt général et du bien commun.
Une telle assertion
est tout simplement inacceptable et inconcevable pour les dogmatiques, les
idéologues ou les militants aveugles. Nous n’arriverons jamais à les convaincre
car cela remettrait en cause un trop grand nombre de croyances, de certitudes
ou de dogmes. Mais ce ne sont pas les
opposants actifs de l’industrie pharma que nous voulons convaincre. C’est le
grand public !
IV. L’industrie pharma doit-elle se donner pour objectif
d’être aimée ?
Je me souviens du GM
d’un important labo qui m’avait dit que le prix du médicament était un sujet
trop compliqué, que l’opinion ne comprendrait jamais et que ce combat était
perdu d’avance. La priorité pour lui,
c’était finalement de « vendre des boites » sans se poser trop de
questions. De toute manière, c’est à l’aune de sa performance commerciale qu’il
sera évalué et qu’il obtiendra, dans 3 ou 4 ans, un autre poste ailleurs et
plus haut placé. Après moi le déluge…
Je me souviens
également d’une réunion de la Commission Communication du LEEM où un Directeur
de la communication avait dit que nous n’avions pas besoin d’être aimés du
grand public parce que nos cibles étaient essentiellement les autorités de
santé, les décideurs et les politiques.
Voyons les choses autrement et posons le problème
différemment… La question n’est pas tant
d’être « aimés », je crois d’ailleurs que nous n’y parviendrons
pas, que d’être reconnus dans notre
utilité en démontrant notre contribution à l’intérêt général. On peut même
aller plus loin et poser la question différemment : à défaut d’être aimés, peut-on se permettre d’être durablement
détestés ? Assurément non !
Dans une démocratie
d’opinion comme la nôtre, les décideurs, ceux qui, par exemple, fixent le prix
des médicaments, sont influencés dans leurs décisions par ce qu’ils pensent
être l’opinion du grand public et cela a des conséquences très directes sur
notre business. Bref, faire l’impasse sur l’opinion du grand public, c’est
se tirer une balle dans le pied.
V. Assumer et revendiquer le modèle économique de l’industrie
pharma !
Oui c’est vrai, les
médicaments sont chers. Oui c’est vrai, les labos réalisent des profits
considérables et distribuent de généreux dividendes à leurs actionnaires. Doit-on pour autant passer sous silence le
fait que le modèle économique de l’industrie pharma est entièrement fondé sur
l’intérêt des malades ? Que pour vendre très chers ses médicaments et
réaliser d’importants bénéfices, l’industrie doit investir des sommes
considérables en R&D et produire des innovations qui vont radicalement
transformer la vie des personnes malades et, dans de nombreux cas, tout
simplement sauver leurs vies ?
Admettons que les
industriels soient tous des salauds, qu’ils se fichent éperdument de la
santé des malades et que leur seule préoccupation soit de réaliser le profit
maximal. Admettons… Et bien ils ne pourront parvenir à leurs fins que s’ils développent des
médicaments qui sauvent des vies. C’est aussi simple que cela. Point de considération morale dans ce
constat. C’est une réalité économique.
La R&D est une
activité, notamment dans la pharma, extraordinairement capitalistique. Elle
n’est pas financée par de la dette mais par du capital. Il faut donc être en
mesure d’attirer du capital et, pour ce faire, de proposer des rendements
suffisamment importants pour que celles et ceux qui détiennent ce capital
(épargnants, fonds de pension, investisseurs…) soient incités à l’investir dans
la pharma davantage que dans l’industrie automobile ou dans les NTIC. De
surcroît, la R&D dans la pharma est extraordinairement risquée et la
capitalisation boursière d’une entreprise peut s’effondrer en quelques minutes
suite à la publication des résultats d’un essai clinique de phase 2 ou 3. Il faut donc, pour attirer les capitaux,
non seulement proposer un rendement important mais également une prime de
risque. On ne peut pas comprendre le prix des médicaments si on n’explique
pas le modèle économique de la pharma dans son ensemble en rappelant,
systématiquement, que ce dernier reste fondé, en dernier recours, sur l’intérêt
des malades.
VI. Et la morale dans tout ça ?
On peut considérer
que ce n’est pas moral ou que c’est choquant mais on ne peut pas contester que
ce modèle économique est efficace et que nous n’avons jamais produit autant
d’innovations thérapeutiques. C’est ainsi et le grand public, pour peu qu’on le
lui explique, est en mesure de le comprendre.
Nous ne devons pas
nous justifier ou nous excuser de gagner de l’argent. Nous devons au
contraire le revendiquer et démontrer que c’est une condition requise pour
produire de l’innovation et de l’intérêt collectif.
Les innovations
d’aujourd’hui sont les profits d’hier. Et les profits d’aujourd’hui sont les
innovations de demain…
Quoi de plus noble
que de gagner de l’argent en sauvant la vie des gens ? Le principal
problème de l’industrie pharma, c’est davantage le court-termisme excessif
imposé par une financiarisation elle aussi excessive. Mais c’est un autre sujet…
VII. Alors concrètement, comment parler du prix des médicaments ?
Comme nous l’avons vu précédemment, la situation est bloquée
et chacun campe sur ses positions. L’industrie est en accusation et sur la
défensive. Elle a déserté le débat et a perdu la guerre faute d’avoir livré la
bataille.
Nos arguments économiques, rationnels, objectifs et
démonstratifs n’impriment pas dans l’opinion. Nous n’avons que rarement
l’occasion, le temps ou la capacité (complexité des arguments à faire valoir)
de les déployer.
Ce que nous devons
faire aujourd’hui, c’est changer les représentations en menant une
« bataille culturelle ». Cela suppose de faire de la POLITIQUE.
Non au sens partisan du terme mais dans son acception la plus noble. Faire de
la politique, c’est accepter de s’inscrire dans la société, de tenir compte des
arguments de nos opposants et de leur légitimité. Faire de la politique, c’est
assumer, en tant qu’entreprise, d’avoir notre mot à dire sur les sujets
d’intérêt général et de considérer que nous avons une contribution positive à
faire valoir. Faire de la politique, c’est aussi être prêt à assumer le conflit
et à donner quelques baffes en arrêtant de se faire marcher sur les pieds…
Mais dans ce débat, nous ne pouvons pas nous contenter de
nos arguments rationnels et économiques qui sont difficilement audibles. Nous devons changer les représentations et
marquer les esprits. Nous devons interpeller, sur un registre émotionnel
afin de capter l’attention de nos publics pour pouvoir ensuite dérouler notre
argumentaire. Il faut respecter une
séquence en 3 temps :
1. Interpellation
/ provocation / émotion ;
2. Susciter la réflexion ;
3. Dérouler une argumentation rationnelle et économique
en mode « preuve ».
Il s’agit d’une posture
pas facile à tenir car elle nous oblige à sortir de notre zone de confort.
Nous devons glisser vers un univers plus mouvant, plus dangereux, plus sensible
et symbolique.
S’engager dans un débat sur l’intérêt général tout en
défendant notre conception de l’intérêt général, c’est affirmer que nous ne
sommes pas le problème mais la solution et que, entre l’ultralibéralisme du modèle américain et le dirigisme excessif à
la française, il existe une 3ème voie qui permet de concilier :
1. L’intérêt des
patients (accès à l’innovation notamment) ;
2. La pérennité de
notre modèle social (financement de la SECU, organisation du système de
soins…) ;
3. Un modèle
économique et un écosystème favorables à l’innovation (prix des
médicaments, réglementation…).
C’est dans le cadre
de ce triptyque que nous devons poser le débat.
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