lundi 26 mars 2018

Affaires publiques : dans la pharma comme ailleurs, la fin du lobbying à la papa...

Aborder la question du lobbying et des affaires publiques, c’est prendre le risque d’ouvrir la porte à tous ces vieux phantasmes et autre poncifs éculés. C’est en même temps un exercice salutaire qui vise à s’interroger sur les fondements et les conditions d’exercice de l’influence et du jeu des acteurs au sein d’une société toujours plus complexe, fragmentée, régulée et transparente.


Je vous propose dans cet article un petit détour théorique pour cerner ce que sont les affaires publiques et le lobbying avant de revenir à des considérations beaucoup plus opérationnelles et pragmatiques concernant leur pratique concrète.
Plan :
I. Définitions
II. Le lobbying c’est mal ! Petit détour théorique...
III. Et si on passait aux choses sérieuses ? Affaires publiques et démocratie.
IV. Vers une nouvelle conception des Affaires publiques : la bataille du contenu 
V. Erreurs à ne pas commettre et qualités requises 
VI. Doit-on distinguer fonctionnellement ou organisationnellement Communication et Affaires publiques ?  
VII. Vers une fusion de la Communication et des Affaires publiques ?

I. Définitions :
« Lobby » signifie « vestibule » ou « couloir ». Originellement il désigne ces lieux, au sein de la Chambre des communes britannique, dans lesquels les membres de différents groupes de pression pouvaient se rendre pour discuter avec les Members of Parliament (MPs). 
Le lobbying est un ensemble d’actions d’influence et de pressions, directes ou indirectes, menées par un lobby pour défendre ses intérêts ou influer sur l’élaboration, l’application ou l’interprétation de mesures législatives, normatives ou réglementairespouvant l’affecter. Traditionnellement, les actions de lobbying sont surtout menées à destination des décideurs politiques.
Les Affaires publiques incluent le lobbying mais s’inscrivent dans une perspective plus large qui considère que l’influence n’est pas circonscrite à l’élaboration de la norme. Dans les Affaires publiques, l’influence est envisagée dans une acception plus étendue qui englobe un plus large spectre de parties-prenantes et mobilise des leviers d’action diversifiés : image, discours, production de contenus et d’études… Nous le verrons plus tard, les liens ou zones de recoupement entre Affaires publiques et Communication institutionnelle sont nombreuses et posent de nombreuses questions en termes d’organisation.

II. Le lobbying c’est mal ! Petit détour théorique…
Avant toute chose, il faut savoir que le lobbying, c’est mal ! Imaginez ces groupes de pression représentant les intérêts particuliers, vénaux et occultes d’une oligarchie souhaitant préserver ou promouvoir ses positions au détriment d’un intérêt général nécessairement vertueux dont les élus du peuple seraient non seulement les défenseurs mais également l’incarnation… Beurk.
Cette vision négative du lobbying, en particulier en France, est largement façonnée par une conception chrétienne et moralisatrice de l’intérêt général : le « bien commun ». Elle l’est également et essentiellement en raison de la définition qu’en fait Jean-Jacques Rousseau. En effet, pour ce dernier, l’intérêt général revêt une dimension à la fois extensive et volontariste, presque mystique : il n’est pas constitué par la juxtaposition d’intérêts particuliers, au contraire il les transcende… Pour Rousseau, l’intérêt général est défini par la volonté générale dont la souveraineté populaire n’est pas la représentation mais l’expression.
Dans cette perspective, tout groupe de pression ou lobby, vient entacher la formation et l’expression de cette volonté générale. Cela pose de nombreuses questions. L’intérêt général est-il immanent et ontologique ou, au contraire, est-il la somme d’intérêts particuliers et multiples, parfois contradictoires, se cristallisant au travers diverses formes de confrontations et de médiations ? L’intérêt général est-il immanent ou circonstanciel ? Est-il absolu ou relatif ?
En France on adore les grands raisonnements abstraits et les lois générales. La conception rousseauiste de l’intérêt général y est donc prédominante et profondément ancrée tant dans l’opinion publique que chez les intellectuels. Dans les pays plus « libéraux » au sens historique et politique du terme, on est plus pragmatique et la démocratie, avant d’être une idée, est un mécanisme qui se doit avant tout d’être effectif. Je me reconnais davantage dans cette vision « libérale » même si je reste très attaché aux grands principes rousseauistes dont il ne faut jamais se départir. 

III. Et si on passait aux choses sérieuses ? Affaires publiques et démocratie. 
N’en déplaise à certains, le lobbying et les affaires publiques sont non seulement la garantie d’une démocratie effective et efficace mais plus encore, elles en sont la condition. La condition car comment parler de démocratie si une entreprise, un groupe d’intérêt, un groupement d’associations ou des individus n’étaient pas en mesure d’exprimer leurs points de vue et leurs attentes auprès du législateur ? Ne serait-ce pas là un déni de démocratie ? Par ailleurs, dans une société de plus en plus complexe ou toute décision normative peut avoir des conséquences importantes et parfois inattendues, permettre à toutes les parties-prenantes concernées de s’exprimer, de mettre en avant leurs enjeux et de souligner les impacts potentiels de telle ou telle décision est un préalable indispensable à la prise de décision. Dans cette perspective, le lobbying, en permettant d’éclairer la prise de décision, est le préalable et la garantie d’une formation saine, pertinente et transparente de l’intérêt général.
Les lobbys sont-ils tous méchants ? Quand on parle de lobby, on pense en effet spontanément aux vendeurs de clopes, à l’industrie pharma, chimique, pétrolière ou nucléaire. Bref, que des salauds ! Outre que ces industries sont essentielles à nos vies et à notre économie, elles contribuent à l’intérêt général et il arrive même parfois que des personnes y travaillant ne soient pas systématiquement d’infâmes agents du grand capital exclusivement mus par le futur cours d’exercice de leurs stocks options. Par ailleurs, il convient de mettre en avant le principe de légitimité. N’est-il pas légitime, voire indispensable, que les représentants d’intérêt puissent défendre leur vision ou leur approche dans le champ public ?
Paradoxalement et bien que cela puisse heurter de chastes oreilles, les syndicats de travailleurs ou de profs, les ONG ou encore les agriculteurs sont des lobbyistes hors-pair. Et oui… Si vous prenez une ONG comme Greenpeace, ils sont passés maîtres dans l’art d’influencer les décideurs publics. Grâce à leurs actions d’éclat qui permettent de mobiliser l’opinion publique mais également grâce au travail de fourmi qu’ils réalisent auprès des décideurs et aux multiples bureaux de représentation dont ils disposent dans différents pays, à une échelle communautaire ou internationale. Et il n’y a aucune raison de les blâmer pour cela. Au contraire. Ils ont tout compris ! Ils savent comment fonctionnent les jeux d’influence, connaissent par cœur les circuits de décision et sont des experts hors-norme des réglementations. Ils constituent, de fait, des lobbys extrêmement actifs et puissants et c’est très bien ainsi. Encore faut-il l’assumer…
Bref, pour conclure cette partie, reconnaissons que le lobbying est partout et que c’est une très bonne chose. Pendant longtemps, nous avons considéré qu’il fallait lutter contre le lobbying parce que sa vocation consistait à influencer la démocratie. N’est-ce pas là une version surannée ? Au lieu de se battre contre des moulins, ne devrait-on pas considérer que le véritable enjeu aujourd’hui est avant tout de démocratiser l’influence ? Je reprends là le titre d’un ouvrage édité en 2004 par l’Association Française des Conseils en Affaires Publiques (AFCAP) sous la direction de Xavier Delacroix. La conclusion de cet ouvrage, au travers de nombreux exemples, c’était de reconnaître que l’influence, dans son acception la plus large, était utile à la démocratie. L’enjeu ne serait donc pas de circonscrire l’influence mais de permettre à tous d’en faire un bon usage et de poser un cadre permettant de la réguler et d’en assurer un exercice transparent.

IV. Vers une nouvelle conception des Affaires publiques : la bataille du contenu 
Pendant longtemps, les Affaires Publiques ont été circonscrites à leur dimension « lobbying à l’ancienne ». Je ne crois pas à l’efficacité et à la pertinence de ce lobbying « à la papa » qui consistait à user de son carnet d’adresse et de sa carte bleue pour inviter des parlementaires au restaurant. Le réseau ne suffit plus. C’est la dernière cartouche des paresseux.
De nombreuses raisons expliquent cette évolution. Parmi lesquelles on retrouve les lois de plus plus en plus contraignantes sur les liens et les conflits d’intérêt, le profond renouvellement de la classe politique (dernières élections législatives), la complexification des circuits de décision, la multiplicité croissante des parties-prenantes, le besoin accru de transparence, le rôle de surveillance et de pression exercé par divers Comités, associations et ONG, le rôle croissant des experts et l’avènement d’une véritable « démocratie de l’expertise », notamment dans le secteur de la santé ou encore le rôle croissant des réseaux sociaux, des médias et du journalisme d’investigation. Cette liste est loin d’être exhaustive…
Les conséquences de cette nouvelle donne sont elles-aussi très nombreuses. L’enjeu aujourd’hui n’est plus le « réseau » mais le contenu. Ce qui importe, en matière d’Affaires Publiques, c’est avant tout de proposer des contenus, d’avancer des idées, de prendre des positions qui permettent de concilier les intérêts particuliers des acteurs et l’intérêt général, de bâtir des coalitions, de gérer intelligemment des parties-prenantes de plus en plus diverses… Bref, dans une démocratie d’opinion, l’enjeu, c’est l’opinion ! Il convient de toujours mieux articuler et potentialiser communication corporate et affaires publiques de manière à mener ce que l’on nomme des « batailles culturelles » pour ainsi remporter des « batailles politiques » (voir à ce sujet mon article sur Antonio Gramsci).

V. Erreurs à ne pas commettre et qualités requises 
A mon sens, mais c’est très personnel, pour être un(e) bon(ne) lobbyiste ou Directeur(rice) des Affaires publiques il y a des qualités requises, des leviers à exploiter et des erreurs à ne pas commettre.
Ne vous contentez pas d’une approche réseau ou strictement politicienne !
Fini le bon temps où l’on pouvait se contenter de recruter un collaborateur uniquement parce qu’il avait un bon carnet d’adresse. Cela peut aider bien sûr mais ça ne suffit pas ! D’abord parce que les interlocuteurs changent tout le temps. Ensuite parce que connaître quelqu’un ne suffit pas à le convaincre. De surcroît, rares sont les cas où les personnes sont seules à décider. Enfin, le copinage politique ne marche que très rarement. Cela peut aider pour obtenir un rendez-vous ou un tuyau mais rarement pour emporter une décision.
Ne vous enfermez pas dans la technicité !
Le lobbying, c’est très technique. Il faut parfaitement maîtriser les circuits de décision, les modes d’élaboration des normes, comment par exemple rédiger et faire voter un amendement parlementaire, cartographier les acteurs… Cette dimension technique est indéniable et incontournable. Mais il est de plus en plus d’usage d’avoir recours à des agences ou à des cabinets spécialisés dans ces domaines. L’important pour le responsable des affaires publiques, c’est avant tout de savoir coordonner le recours à ces prestataires, de parfaitement connaître son secteur d’activité et ses enjeux et, avant tout, de formaliser une vision stratégique et un plan d’action opérationnel.
Ne mentez pas ! Ne manipulez pas !
Nous avons tous vu des films américains avec ces hommes de l’ombre experts du mensonge et de la manipulation. Ils sont forts. Très forts… Outre le fait que c’est moralement répréhensible et que, personnellement, je ne ferai jamais quelque chose dont je pourrais avoir honte, c’est extrêmement dangereux. Tout d’abord parce qu’il existe des procédures de contrôle ou d’autocontrôle de plus en plus strictes, des normes, des « compliance officers » dans tous les sens et des sanctions toujours plus sévères, notamment financièrement. Mais surtout, parce que tout finit toujours par se savoir. Si vous faites un truc chelou, borderline ou carrément illégal, tôt ou tard cela se saura. Et alors là, gare au retour de bâton et au « name and shame » qui pourra réduire à néant l’image et la réputation d’une entreprise. Sans compter les autres types de sanction. En ce qui me concerne, je pars du principe que tout ce que je fais, écris ou dis est susceptible d’être porté à la connaissance d’un média ou d’un juge. C’est le meilleur moyen de rester dans un cadre légal et moral. Dans ce domaine, la transparence est la meilleure des préventions. Avant de rédiger ou d’envoyer mail, demandez-vous comment il pourrait être perçu s’il faisait la Une du Monde ou d’un 20 heures.
Soyez capable de définir et de formaliser une vision stratégique dans un cadre sociétal !
Si vous êtes en charge des Affaires publiques d’une entreprise, votre rôle, c’est de comprendre son environnement, ses enjeux et sa stratégie mais également de décrypter le jeu des acteurs et de comprendre les débats publics émergents au sein de la société. On l’a vu, nous vivons dans une démocratie d’opinion. Le responsable des Affaires publiques doit savoir saisir cette opinion et comment elle va évoluer. Si vous proposez une stratégie dont vous savez qu’elle est frontalement en opposition avec les attentes sociales, alors vous pouvez être sûr d’aller dans le mur. Votre rôle, c’est celui d’un défricheur, d’un éclaireur. Celle ou celui qui interface l’entreprise avec son environnement.
Revendiquez votre contribution à l’intérêt général et prenez l’opinion à témoin !
Les entreprises sont souvent frileuses et ont peur du politique. Cette frilosité est en réalité la manifestation d’une sorte de complexe qu’éprouvent les entreprises qui n’osent pas sortir du strict champ économique au sein duquel elles circonscrivent leur légitimité. Il faut lutter contre cela et au contraire revendiquer votre contribution à l’intérêt général. Si vous défendez les OGM, vous devez mettre en avant ce qu’ils apportent en matière de lutte contre les pesticides, de résistance à la sécheresse, de rendements pour les paysans et de prévention famines, sans vous contenter de défendre votre business. Produisez des études indépendantes, des témoignages, des sondages, des chiffres… Bref, prenez l’opinion à témoin et soyez fiers de vous. C’est le meilleur moyen de convaincre.
Soyez un bon communicant et exploitez votre patron !
Si vous souhaitez être influent et emporter la décision, à vous de savoir séduire, convaincre et « embarquer » vos interlocuteurs. C’est basique mais savoir écrire, parler en public, raconter de belles histoires, être créatif, sympa et avenant, ça aide… Et mettez en avant le/la dirigeant(e) de votre entreprise. C’est super important car c’est lui qui l’incarne et son impact n’en sera que plus déterminant. Il faudra le ou la former à cet exercice mais c’est très utile et valorisant pour le dirigeant.
Soyez un expert reconnu dans votre domaine !
En matière d’Affaires publiques, ce n’est pas tant votre technicité de lobbyiste qui compte que votre excellente connaissance de vos enjeux sectoriels. On l’a vu, vous devez apporter du contenu pour emporter la décision. Vous devez pour cela être crédible et donner le sentiment à vos interlocuteurs que vous leur apprenez des choses, et pas que sur votre entreprise. Si vous êtes dans la pharma, vous devez par exemple parfaitement connaître le mode fixation du prix des médicaments, l’impact des médicaments sur les comptes de la SECU, les conditions de réalisation des essais cliniques en France, les enjeux liés à la production de biomédicaments sur le territoire national etc. Votre interlocuteur doit se dire de vous : « il s’y connaît, j’apprends des trucs, il est sérieux ».
N’hésitez pas à cliver !
On se dit souvent qu’il ne faut jamais heurter ou fâcher son interlocuteur. C’est faux. Vous n’êtes pas là pour plaire mais pour convaincre et emporter la décision. Plutôt que de vous comporter comme une carpette qui dit amen à tout ce vous dit votre interlocuteur, n’hésitez pas à le contredire si ce qu’il dit est faux. N’hésitez pas à défendre votre point de vue si vous en êtes convaincu, même s’il est iconoclaste. On ne négocie pas en position de faiblesse ou d’infériorité. Vous devez être sûrs de vous. Je prends toujours l’exemple des droits de l’homme en Chine. Quand un Président français va en Chine, il est plus ou moins obligé, à un moment ou l’autre d’évoquer la question des droits de l’homme. Mais il le fait en se planquant parce qu’il a peur de fâcher les officiels chinois et de perdre de potentiels contrats. Les Chinois écoutent poliment mais cela ne change absolument rien. Pourquoi ? Parce qu’ils ne nous respectent pas. Les Allemands sont plus pragmatiques. Ils parlent eux aussi des droits de l’homme, parfois de façon beaucoup plus offensive que nous et en public. Ils n’ont pas peur de le faire parce qu’ils sont sûrs d’eux et de la qualité des produits qu’ils comptent vendre aux Chinois. C’est plus frontal mais 1000 fois plus efficace. Et cela ne les empêche pas de remporter de très gros contrats. Au contraire…
N’ayez pas peur d’être engagé politiquement !
L’engagement politique n’est pas un prérequis mais n’est, contrairement à ce que l’on pourrait croire, absolument pas à proscrire. En réalité, il constitue à mon sens un excellent moyen de comprendre et de décoder les stratégies politiques, le jeu des acteurs, l’émergence de nouveaux sujets de débat public, de comprendre le fonctionnement institutionnel et politique… Engagé à gauche, au centre ou à droite (pas les extrêmes…) cela importe peu. L’important, c’est l’engagement et les compétences qu’il permet de nourrir. Un engagement partisan ne constitue aucunement un handicap quand il s’agit de discuter avec des personnes elles aussi engagées mais avec des idées différentes. Bien au contraire ! Il existe entre militants, même de bords opposés, un respect mutuel, des centres d’intérêts partagés et une vision commune de l’intérêt général. C’est encore plus le cas si votre engagement n’est pas « entaché » par des ambitions personnelles, que vous n’avez aucun avenir ou ambition politique et que vous considérez cet engagement comme un simple hobby, une manière de contribuer à la vie démocratique et de concourir à l’intérêt général.

VI. Doit-on distinguer fonctionnellement ou organisationnellement Communication et Affaires publiques ?  
La question qui fâche… Dans 9 boites sur 10, c’est la guerre entre la com° et les Affaires publiques. Les AP reprochent à la com° de ne pas leur livrer les éléments dont ils ont besoin (contenus, éléments de positionnement, supports de communication…), de communiquer avec les journalistes sans tenir compte de l’impact d’une telle communication sur leurs discussions avec les élus et de ne rien comprendre à la subtilité de leur noble métier. De son côté, la com° reproche aux AP de se la jouer solo, de les prendre pour des larbins, de monopoliser l’expression publique de l’entreprise et d’empiéter en permanence sur leur territoire.
Tout cela n’est pas faux et les torts sont souvent partagés. Cette guéguerre n’en demeure pas moins stérile et dissimule souvent difficilement des conflits d’ego. La réalité, c’est qu’il est extrêmement difficile de tracer une ligne et de répartir de façon claire et intangible les sphères de compétences et les domaines d’intervention de la com° ou des AP. Une sorte de Yalta peut parfois s’instaurer pour réguler ces relations. A la communication la com° interne, le corporate, le contenu et le lien avec les journalistes. Aux Affaires publiques le lien avec les élus, les institutionnels, les régulateurs et les think-tanks.
Cette stricte dichotomie n’est-elle pas illusoire et vouée à l’échec ? Entre ces deux « métiers », les zones grises ou de recouvrement sont légion. Ce qui importe par dessus tout, c’est d’avoir un récit d’entreprise et un positionnement commun, d’être parfaitement alignés sur les contenus et la posture. Dans certaines entreprises, communication et affaires publiques sont réunies en une seule entité. Dans d’autres elles sont séparées. Il n’y a pas de modèle miracle. Cela dépend des personnes, de leurs compétences, appétences ou expériences. L’essentiel, c’est de ne jamais oublier que les enjeux sont communs, les responsabilités partagées et les cibles souvent transverses. Bref, que la communication et les affaires publiques, c’est quand même un peu la même chose… Cela suppose un peu d’intelligence, de la maturité et surtout beaucoup de bonne volonté.

VII. Vers une fusion de la Communication et des Affaires publiques ?  
Comme nous venons de le voir et si l’on force un peu le trait, les communicants (des gens pas très sérieux…) s’occupent des jolies plaquettes, des campagnes de pubs, de la com° interne et font des risettes aux journalistes alors que les lobbyistes, eux beaucoup plus sérieux et mieux équipés en cravates Hermès, se chargent de rencontrer les parlementaires, les conseillers en cabinet et les instances de régulation. C’est particulièrement le cas en France. En revanche, dans les pays anglo-saxons, les « public affairs » sont considérées dans une acception beaucoup plus large car elles englobent la communication.D’ailleurs, les « PA » aux US ou en UK, cela veut dire « la com° ». Les « public affairs » révèlent à mon sens une approche plus mature, plus complète et plus complexe dont la mission est de manager toutes les interactions qu’une entreprise va entretenir avec ses différentes parties-prenantes : journalistes, institutionnels, élus, ONG, think-tanks, organisations professionnelles… L’objectif n’est pas de segmenter les approches et les discours mais de concevoir et de porter un discours d’entreprise homogène auprès de l’ensemble des stake-holders, quels qu’ils soient, de manière à mieux promouvoir son influence.
La question de fond est en réalité la suivante : les entreprises peuvent-elles s’affranchir du combat sur les valeurs et rester cantonnées à une sphère strictement économique ?Non bien sûr ! Société civile et entreprises sont en interaction permanente, tout simplement parce que les entreprises sont partie constitutives de la société civile… Elles produisent des normes et des valeurs autant qu’elles les subissent. Bref, elles font partie de l’écosystème.
Les entreprises ne peuvent plus rester « planquées » et considérer qu’elles peuvent se contenter de circonscrire leur activité, leur impact et leur responsabilité à la seule sphère économique. Vous les savez, les entreprises ont une responsabilité sociale, voire sociétale, croissante. On peut même aller plus loin et considérer que cette responsabilité a évolué. On est passé de (en anglais dans le texte) de la « Corporate Social Responsibility » à la « Corporate Social Accountability ». Bref, non seulement il ne faut pas faire de conneries mais en plus on va venir vérifier et on va même exiger que vous ayez un impact positif…
Les entreprises doivent donc se tourner vers l’extérieur, comprendre la société dans laquelle elles évoluent, tenir compte des besoins des consommateurs mais également des exigences des citoyens, manager leurs relations avec les associations, discuter avec les élus, accepter de satisfaire l’insatiable curiosité des journalistes… Sans oublier leurs propres collaborateurs dont l’allégeance s’émousse.
Cette nouvelle donne n’est en réalité pas si nouvelle… Cela fait au moins 30 ans que ça a commencé. Ce qui est nouveau, c’est l’intensité du phénomène. Pour les communicants, c’est pain béni ! Alors que les Directeurs / Directrices de la communication devaient auparavant gérer des tuyaux et des canaux pour délivrer de façon descendante des messages à des cibles clairement définies et circonscrites, ils / elles doivent maintenant être en interaction permanente avec de multiples parties-prenantes dans un environnement de plus en plus complexe, instable et mouvant. Le / la Dir com° devient une sorte d’intercesseur entre l’entreprise et son environnement. Il est d’ailleurs souvent devenu un Directeur de la communication ET DES AFFAIRES PUBLIQUES. C’est plus compliqué mais d’autant plus passionnant. Impossible de saucissonner les discours, de dire A à l’un et B à l’autre. Il faut gérer les contradictions en temps réel. Sinon, c’est le retour de bâton immédiat et à grande échelle. Merci Internet…
Cela oblige les Dir com° à remonter d’un cran et à conduire un travail à la fois considérable et fondamental sur l’identité de l’entreprise, ses missions, ses valeurs, ses modes d’action, sa vision, sa contribution… Le Dir com° est devenu « stratégique ». Il doit être gardien du temple, stratège, tacticien, guide, transformateur, contradicteur, moine soldat, militant et lanceur d’alertes. C’est un empêcheur de tourner en rond, parfois même un « emmerdeur ».
Ils s’usent vite et l’énergie qu’ils déploient pour conduire les processus de transformation permanents que les entreprises doivent mener pour rester en phase ou anticiper les évolutions de la société (et du marché…) peut, au bout d’un moment, se retourner contre eux. Un destin tragique mais tellement stimulant…

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