jeudi 26 novembre 2015

SIDERATION ET COMMUNICATION

Après les attentats de Paris, comment communiquer dans un contexte de crise marqué par la sidération ? La communication, notamment de crise, peut-elle permettre de faire face à un état de sidération ?


Il y a des moments dans l’histoire où des événements sont tellement graves, inattendus ou impactants qu’ils nous sidèrent littéralement. Les attentats du 13 novembre à Paris relèvent à l'évidence de cette catégorie. Peut-on, et comment, communiquer dans une telle situation ?


Revenons aux fondamentaux… La sidération, c’est un « anéantissement des forces vitales se traduisant par un arrêt de la respiration et un état de mort apparente ». Bref, on est « scotché ». C’est le trou noir, plus de mise à distance des événements, plus de distance réflexive… La communication, c’est transmettre, échanger, être en relation avec autrui. C’est aussi raconter une histoire. De ce point de vue, la communication est un acte productif qui produit du sens, de la cohérence et même de l’identité. Paul Ricoeur a d’ailleurs développé le concept « d’identité narrative » selon lequel l’identité n’est pas qu’une simple construction intellectuelle. C’est aussi une construction narrative et sociale.

La sidération est donc antithétique de la communication. La communication fait appel à notre intellect et à notre intelligence. Elle s’inscrit dans un processus de socialisation. La sidération, elle, nous enferme dans nos instincts de survie et dans l’inné. Elle nous isole et nous ramène à notre condition animale. 

La sidération est un état de crise poussé à son paroxysme. Il est donc tentant de faire un rapprochement avec la communication de crise, de s’interroger quant aux liens et aux interactions qui existent entre les deux ou quant à la manière dont les techniques de la communication de crise peuvent permettre de faire face à un état de sidération. Dans les deux cas, il y a un événement générateur, une accélération du temps, un emballement médiatique, l’irruption de multiples acteurs, le besoin de comprendre…

Pour autant, les mécaniques qui sont à l’œuvre ne sont pas les mêmes. 
Quand on est frappé par la sidération, on est forcément en crise alors qu'une situation de crise n'est par forcément marquée par la sidération. A mon sens, la sidération est un cran au dessus de la crise et ce cran supérieur n’est pas qu’une différence d’intensité. Il y a une différence de nature. La crise peut paralyser. Mais elle est potentiellement stimulante. La sidération, elle, annihile littéralement.

Alors que faire pour redescendre d’un cran et changer la nature de la situation que l’on subit ? Comment transcender la sidération et renouer avec la rationalité ? Comment prendre la distance nécessaire et retrouver des marges de manœuvre intellectuelles et opérationnelles ?

Pas évident. A mes risques et périls, je vais esquisser quelques pistes…

La première chose à faire, c’est d’accepter de donner du temps au temps. La précipitation peut renforcer et prolonger l’effet de sidération, surtout si l’on tient compte du rôle des médias qui vous bombardent d’images en direct sans aucune forme de médiation. Accepter de donner du temps au temps, à l’heure des BFM TV, des réseaux sociaux et de l’instrumentalisation éhontée des événements à des fins politiciennes et populistes, c’est un peu mission impossible. Et pourtant… Tout ne peut pas être dit à n’importe quel moment. Le public est en état de choc. Il y a des choses qui, même si elles sont vraies, ne seront jamais entendues car elles ne sont tout simplement pas audibles. Le public ne veut pas les entendre. Il faut du temps pour que l’effet de sidération s’estompe et que le public reprenne une capacité cognitive et réflexive.

Le but, c’est donc de restaurer les conditions de l’écoute et de l’échange. Pour y parvenir, la catharsis collective peut s’avérer vertueuse. Potentiellement, elle permet de nous apaiser, de nous consoler, de verbaliser nos émotions et de nous réinscrire dans un processus de socialisation collectif. Les grandes cérémonies ou manifestations ont cette fonction. Communiquer (je ne parle pas de la pub), ce n’est pas asséner. C’est rendre intelligible, instaurer un dialogue et entrer en relation.

Il faut également, comme en communication de crise, respecter des séquences et poser des jalons. On connaît les étapes à respecter en situation de crise : d’abord l’émotion et la compassion, puis l’action et la mobilisation, ensuite, le suivi dans la durée avec des prises de parole régulières, même quand on n’a rien de nouveau à dire et, enfin, la sortie de crise avec des engagements précis et la formulation de perspectives. A ce stade, nous sommes résolument dans le registre de l’action  et de la rationalité. La sidération est alors derrière nous…

Très honnêtement, je trouve que la France a plutôt bien réagi suite aux attentats. François Hollande a été très bon. Il a su concilier compassion, émotion, rapidité dans la réaction, fermeté et mesure dans les décisions annoncées. Contrairement, à ce que j’ai écrit plus haut, il n’a pas beaucoup donné de temps au temps mais il lui était impossible de faire autrement. Cela n’aurait pas été compris et il aurait été taxé d’immobilisme. La classe politique dans son ensemble, mis à part la séance du mardi suivant les attentats à l’Assemblée Nationale où l’opposition a livré un bien triste spectacle, a elle aussi plutôt bien réagi et n’a pas cherché à mettre de l’huile sur le feu. Les medias ont également bien fait leur boulot et leur couverture des événements a été digne. Mélange d’informations brutes, de témoignages, de mises en perspective, d’interventions d’experts... Nous n’avons pas vécu les dérapages de janvier. Même le CSA l’a reconnu.

En conclusion, je dirais que communication et sidération sont antithétiques et incompatibles. Pourtant, c’est là le paradoxe, elles sont étroitement liées. Les techniques de la communication de crise peuvent et doivent nous aider à dépasser notre état de sidération. Mais c’est un travail éminemment collectif. C’est le rôle des politiques, des chercheurs, des médias, des intellectuels, des corps intermédiaires, de la société civile… On ne dépasse pas seul un état de sidération. C’est aussi à cela que l’on mesure le degré d’avancement d’une société démocratique : la facilité et la rapidité avec laquelle elle va transcender sa sidération pour la muer en phénomène intelligible.

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